Huîtres mutantes À tourner bourriche !
Dans les semaines à venir, nous allons la plus grande partie des 135 000 tonnes d’huîtres produites en 2010 en France. La star des tables de fête cultive sa popularité depuis la préhistoire. Elle a pris des allures de porte-bonheur au xviie siècle lors- que Casanova, dit-on, en avalait douze dou- zaines chaque jour au petit déjeuner, lui prê- tant les vertus que l’on sait. Riche en iode, en phosphore, en oligoéléments et en zinc (impliqué dans la fabrication de testostérone comme le savait monsieur Casanova), l’huître est bonne pour la santé.
« Est » ou... « était »? La question se pose depuis une dizaine d’années. Car sont apparues sur nos tables les huîtres triploïdes, encore appelées « huîtres des quatre saisons ». Lancées comme un ovni par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), elles ont d’abord séduit les ostréiculteurs par leur résistance aux virus qui déciment les parcs à huîtres une année sur deux. Autre avantage commercial, elles se développent plus vite que leurs sœurs naturelles et ne sont jamais laiteuses. Car l’huître triploïde est stérile, et c’est cette incapacité à se reproduire qui lui procure ses avantages. Pour cela, les chercheurs ont multiplié une anomalie qui existait déjà à l’état naturel : l’octroi d’un troisième chromosome là où, sur la chaîne ADN habituelle, ils vont par deux. Pas un tour de magie, mais des croisements aidés par un peu de chimie. Rien de nocif, soutiennent les scienti- fiques qui ont obtenu sans souci la caution de l’Afssa, organisme de sécurité alimentaire.
Mais déjà des voix s’élèvent. Celle des écolos qui craignent à terme pour le patrimoine ostréicole. Celle des gourmets, attachés aux produits naturels. Parmi ces voix... la mienne, qui trou- ve un peu fort de café ce tour de passe-passe génétique au motif que certains veulent manger des huîtres en été. Mais ce que je trouve plus inquiétant, c’est l’absence d’indications qui permettent de distinguer les huîtres naturelles des autres. Aucune obligation, jusqu’à présent, d’une information laissée à l’appréciation des marchands qui pourront au mieux indiquer « huîtres des quatre saisons ». En attendant des jours plus clairs, je boycotte et me régale d’huî- tres plates, osant de temps à autre les grands crus comme les perles blanches d’Utah Beach. Et je ronge mon frein : on nous annonce pour 2012 l’arrivée de moules triploïdes !
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